Qui n’a, louant la soif, bu l’eau des sables dans un casque,
Je lui fais peu crédit au commerce de l’âme,
Et le soleil n’est point nommé,
Mais sa puissance est parmi nous.

Saint-John Perse, Anabase

Au bout du monde

Ils parvinrent au port sans trop de difficultés, quoique fort tard dans la matinée : le premier objectif était atteint, et la saucisse désirée,  attendue, pour ne pas dire espérée, bien calée dans leur sac. Le crachin s’épaississant à mesure que la faim grandissait et que le courage de les affronter tous deux s’amenuisait, ils renoncèrent cependant à pousser jusqu’à la pointe et préférèrent rejoindre tranquillement le bercail.

Un moment de vérité

L’heure tournait, lentement, très lentement, et l’idée qui n’avait d’abord fait que l’effleurer s’imposait maintenant comme une quasi-certitude, malgré ou grace à la douce torpeur dans laquelle l’avait progressivement plongé le mauvais rosé de Provence : un homme qui lisait Sénèque dans le texte en égrenant le maïs doux d’une « salade d’accueil » fatiguée, assis sur la moleskine rouge d’un grill à l’ambiance western un dimanche après-midi de septembre ne pouvait pas être complètement honnête.

Sans plus penser à la faveur que le destin habituellement si avare lui concédait en lui révélant avant qu’il ne soit trop tard la véritable nature de l’inconnu en casquette de trappeur rencontré le matin même au rond-point de la zone des Champs Fleuris, elle résolut de terminer son escalope de dinde sauce Memphis.

L’esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le coeur brisé, annoncer aux prisonniers la délivrance et aux captifs la liberté, annoncer une année de bienfaits, accordée par le Seigneur, et un jour de revanche pour notre Dieu. Alors, tous ceux qui pleurent, je les consolerai. Au lieu de la cendre de pénitence, je mettrai sur leur tête le diadème ; ils étaient en deuil, je les parfumerai avec l’huile de joie ; ils étaient dans le désespoir, je leur donnerai des habits de fête.

Livre d’Isaïe, chapitre 61, versets 1 à 3