La pétition contre la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur dite « loi Duplomb » lancée par Éléonore Pattery dans la torpeur de l’été sur le site de l’Assemblée nationale a créé la surprise en recueillant plus de deux millions de signatures. Faute d’avoir cherché à analyser les motivations des signataires, on ignore ce qui est perçu comme le plus important dans ce texte.
Les choix politiques en matière d’agriculture et d’alimentation ne passionnent pas toujours les français. Les débats à ce sujet se cantonnent souvent à une confrontation entre d’une part les représentants des intérêts des industriels et des producteurs et d’autre part les organisations non-gouvernementales luttant pour la préservation de l’environnement, sous le regard des experts (agronomes, économistes, naturalistes, écologues…) alors que les partis politiques s’emparent du sujet pour conforter et afficher ce qui n’est parfois qu’une posture.
Les questions de santé environnementale suscitent par contre un grand intérêt, peut-être parce qu’elles convoquent la peur et l’émotion plus que la raison.
Réautorisation de l’acétamipride : l’arbre qui cache la forêt ?
L’importance donnée à la réautorisation de l’acétamipride, un pesticide soupçonné d’être dangereux pour les abeilles et pour les humains, dans les débats nourris qui ont accompagné le texte de loi en est un exemple frappant. Des figures d’autorité en matière scientifique sont sorties de leur réserve pour appeler le législateur a prendre en compte les incertitudes quant à la dangerosité de ce pesticide. Il était pourtant clair que la première revendication portée par la pétition, à savoir le retrait de la loi, ne serait pas satisfaite : si elle recueillait au moins 500 000 signatures (ce qui est arrivé très vite), elle n’obligerait la commission compétente de l’Assemblée qu’à se prononcer sur l’opportunité d’organiser un débat public sur le texte, sans vote, ou de classer la pétition sans suite.
De quoi le succès de la pétition « Pattery » est-il le signe ?
Pourquoi alors tant de citoyens l’ont-ils endossée ? Que voulaient-ils dire ?
Et si, en plus de refuser de voir un produit potentiellement dangereux pour leur santé comme pour celle de leurs enfants réautorisé, les pétitionnaires avaient exprimé leur désir de voir s’ouvrir un débat sur l’agriculture et l’alimentation ? Et si leurs vraies plaintes et craintes étaient de se voir priver des moyens d’en comprendre les enjeux ? Et si leur insatisfaction était de voir les échanges (et les invectives) se porter sur la seule question d’un pesticide, et non sur le système de production agricole et alimentaire désirable et durablement viable ? Et si le cri de Fleur Breteau au Palais Bourbon et le silence réprobateur des autres cancéreux, malades de Parkinson ou d’autres pathologies potentiellement liées aux pratiques agricoles que soutendent nos choix passés en matière de systèmes de production alimentaire étaient en fait l’écho d’un appel à mieux comprendre pour décider ensemble et pour l’avenir, pour ceux qui ne sont pas (encore) malades ?
Comment verser la question des externalités négatives et positives de l’agriculture au débat ?
Il y a un véritable sujet de société, sur lequel peu d’éléments ont été versés au débat bruyant et parfois désordonné de cette séquence politique et médiatique : la prise en compte des externalités positives et négatives des pratiques agricoles. Car derrière le supplément de rendement que capteraient les producteurs de betteraves, derrière les noisettes qui combattraient à armes égales contre les productions des pays dans lesquels l’insecticide reste autorisé il y a probablement un coût caché qu’il faudra payer dans de nombreuses années.
Ce coût, c’est par exemple celui de la prise en charge des cas supplémentaires de maladies chroniques provoqués par l’utilisation massive de ces produits pesticides. C’est le coût de la restauration des écosystèmes perturbés par les conséquences de la pollution par les produits phytosanitaires. C’est le coût des procédés qui devront être mis en œuvre pour pouvoir continuer à distribuer une eau pure. C’est le coût des externalités négatives de l’agriculture intensive, alors que les externalités positives existent mais que le rapport entre le bénéfice et le risque est largement favorable à des sytèmes de productions moins intensifs en intrants de ce type.
Qui supportera le fardeau de la dette environnementale ?
C’est la dette environnementale que nous contractons en notre nom et en celui des générations futures.
À quoi sert-il d’autoriser les agriculteurs à utiliser des produits pesticides potentiellement délétères pour préserver les rendements et gagner (peut-être) aujourd’hui individuellement ce que nous paierons (sans doute) demain collectivement pour réparer les dégâts ?
Le vrai coût à long terme des pratiques que nous acceptons de mettre en œuvre à court terme n’excède-t-il pas les bénéfices qu’on peut en attendre ? Y-a-t-il des alternatives dont l’adoption serait, pour tous, bénéfique à long terme ? Comment installer le dialogue entre les agriculteurs et les consommateurs pour faire, en société, ces choix ? Comme sur la question de la dangerosité des pesticides pour les humains et leur environnement, on dispose de travaux scientifiques (principalement dans le champs des sciences humaines) à ce sujet qui devraient être présentés, vulgarisés et débattus.
Exigeons de nos représentants l’ouverture d’un vrai débat associé à une véritable participation éclairée des citoyens qui peuvent, si on le leur explique, comprendre les enjeux et exprimer des choix stratégiques, des choix de société.
C’est un (déjà) malade qui l’écrit, sans haine ni colère : il est temps d’agir.